19 Nov
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Co-auteur du rapport ayant éclairé le président français sur la question des restitutions de biens culturels africains, Felwine Sarr s’est prêté à nos questions à l’occasion de la cérémonie de réception par le Bénin d’une partie de son patrimoine rendu par la France. Pour l’universitaire sénégalais, la restitution par l’ancien colonisateur de 26 trésors royaux au Bénin, ouvre la porte à un retour plus important d’œuvres africaines sur leurs terres.

INTERVIEW. Le mercredi 10 novembre, le Bénin a accueilli en grande pompe une partie de ses biens culturels rendus par la France 130 ans après la pénétration coloniale, à l’origine du départ de ces trésors royaux des terres d’Abomey. Premier aboutissement d’une négociation engagée en 2016, le retour de 26 pièces des trésors de l’ancien royaume du Danxomè, a réuni autour du président Patrice Talon, au palais de la Marina, responsables politiques et traditionnels. Les universitaires sénégalais Felwine Sarr et française Bénédicte Savoy étaient aussi de la partie. Ce n’est pas par hasard. Ces derniers sont les auteurs d’un rapport que le président français a commandité pour servir de document d’aide à sa décision de restituer à l’Afrique son patrimoine détenu par la France : “Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle”. Rédigé en 2018, le document n’a pas fini d’être critiqué par ceux qui le qualifient de rapport militant. “C’est un rapport de vérité et de justice”, rétorque son co-auteur Felwine Sarr qui n’a pas hésité à répondre à nos questions à notre tour alors qu’il sortait de plusieurs entrevues à la chaîne avec différents médias à la fin de la cérémonie inédite dans le jardin du palais de Cotonou.

Sens et portée de la restitution inaugurée par le Bénin, reproche des détracteurs de ce mouvement et même un pan de son parcours personnel, Felwine Sarr en a beaucoup dit pour une interview quasi-spontanée.

ORTB : 26 œuvres sont rendues au Bénin sur un ensemble estimé à des milliers de pièces dans votre rapport. Cela correspond-il à vos indications ?

Felwine Sarr : Nous avons recommandé qu’il y ait, dans un premier temps, des restitutions symboliques parce que les restitutions prennent du temps : il faut voter des lois, construire des musées, former des experts. Les œuvres qui sont parties 130 ans en arrière, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles reviennent en un, deux, trois ans. C’est un processus qui prend beaucoup de temps. On avait recommandé, pour marquer la volonté politique, de restituer des œuvres symboliques. Ce sont des éléments emblématiques, il faut les restituer d’abord. C’est pour cela que le nombre n’est pas important mais c’est la valeur symbolique des œuvres qui reviennent qui compte. Juste pour comparer, 26 sandales et 26 trésors royaux, ce n’est pas pareil. Donc les œuvres dont il s’agit sont des biens royaux avec leur charge symbolique, leur importance historique, spirituelle. 

Pour la suite, il y a plusieurs milliers d’œuvres africaines qui se trouvent dans des pays européens. C’est au Bénin de faire ses listes précises et de demander à la France, la Belgique, l’Allemagne de les restituer. La dernière fois à l’Élysée le président Talon a mentionné le dieu “Gou” et la tablette du fa. Ce sont des œuvres symboliques que le Bénin doit réclamer pour que le processus ne s’arrête pas.

Votre rapport qui sert de document scientifique d’appui aux premières restitutions serait-il un brin militant comme l’ont pensé certains ?

Certains l’ont qualifié d’idéologique, ce n’est pas juste. C’est un rapport d’abord scientifique et objectif. Et une fois qu’on est arrivé à établir les faits, on a fait les propositions qui s’imposent. Tenez, ce sont 10 mille œuvres qui sont parties du continent noir par le fait colonial. Donc, c’est un rapport de vérité et de justice.

“On ne doit pas évoquer l’exemple d’un musée africain qui brûle pour en faire une théorie générale alors qu’en Europe des objets disparaissent des plus grands musées.”

Dès lors, la porte doit s’ouvrir maintenant et le verrou a sauté avec le Bénin. La France a compris en décidant de mettre en place une commission de réflexion pour une loi-cadre sur un cadre beaucoup plus large pour les restitutions. Depuis 2019, six pays africains ont demandé des milliers de pièces d’art se trouvant hors du continent – le Sénégal a récupéré un sabre il n’y a pas longtemps. Cela veut dire qu’il y a un processus qui est lancé. Le fait que Bénin ait reçu un nombre significatif et symbolique ouvre la voie aux autres pays.

Que répondez-vous à ceux qui pointent la capacité de l’Afrique à conserver son patrimoine. Des faits apportent de l’eau à leur moulin. Le musée de Gungu, un musée de renom en RDC, est parti en fumée avec 25.000 pièces d’art il y a seulement deux jours, le 8 novembre dernier.

C’est un argument condescendant, il n’est pas juste. Des musées prennent feu au Brésil, 20 millions de pièces détruites, des pièces sont volées au Louvre,… En Afrique, il y a des espaces et des compétences de conservation du patrimoine. Les œuvres parties n’ont pas été prises dans les musées. Le musée n’est qu’un lieu.

Les œuvres peuvent revenir dans les communautés, dans les musées, dans les cases patrimoniales, dans les universités,… c’est aux Africains de décider où ils veulent les mettre. Et si tant est qu’ils veulent les conserver au musée, ils s’en donneront les capacités. On ne doit pas évoquer l’exemple d’un musée africain qui brûle pour en faire une théorie générale alors qu’en Europe des objets disparaissent des plus grands musées.

Que reste-t-il à faire maintenant côté africain, notamment par les intellectuels et les politiques après les engagements d’Emmanuel Macron ?

Dès les années des indépendances et bien avant les politiques, ce sont les intellectuels africains qui ont demandé le retour des œuvres. C’est une histoire qu’il faut retracer. Les intellectuels doivent continuer cette lutte que les politiques accompagnent désormais. Les intellectuels chercheurs doivent produire la réflexion pour révéler l’histoire du patrimoine en exil, donner un cadre théorique, l’argumenter d’un point de vue historique et symbolique et le politique fera son travail. Il faut donc une alliance entre les politiques et les intellectuels pour ce travail.

“Pourquoi quand un footballeur change de club on ne crie pas au scandale mais quand un intellectuel voyage on tient à l’assigner à résidence ?”

Mais un intellectuel africain qui fuit son continent peut-il réussir cette mission ? Votre départ du Sénégal pour l’Université nord-américaine de Duke en juillet 2020 a choqué plus d’un.

Pourquoi un intellectuel africain doit-il être assigné à résidence ? Pourquoi le monde n’est pas sa demeure ? La demeure d’un chercheur, ce n’est pas un pays mais l’esprit. J’ai fait 15 ans à l’Université Gaston Berger. J’ai encadré 20 doctorants jusqu’à leur thèse en économie, j’ai créé une faculté, j’en ai été doyen. En tant qu’universitaire, à un moment donné j’ai besoin d’apprendre autre chose, de m’enrichir, d’aller au contact du monde, de sortir de ma discipline, de me confronter à d’autres expériences, d’avoir accès à d’autres ressources intellectuelles dans d’autres univers pour continuer mon travail.

Pourquoi quand un footballeur change de club on ne crie pas au scandale mais quand un intellectuel voyage on tient à l’assigner à résidence ? Le voyage forme l’esprit. Les intellectuels ne fuient pas, ils circulent. Ce que je vais gagner dans le monde va enrichir ma réflexion sur l’Afrique. C’est comme ça qu’il faut voir les choses. Il n’y a pas de dette infinie. Il s’agit d’être dans le monde et de pouvoir contribuer au devenir de l’Afrique.

Le rapport dont on parle, j’étais à Nantes quand je l’ai écrit, pas au Sénégal. C’est parce que j’étais en année sabbatique là-bas que j’ai accepté de faire ce travail. Donc il faut avoir une vision large des choses et arrêter de dire : « restez sur vos archives ». Le monde nous appartient.

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