27 Nov
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Au Bénin, le numérique aide à détruire les idées préconçues et les sujets tabous autour de la sexualité. Grâce à des applications et divers autres outils numériques, des jeunes s’informent et se forment sur leur santé sexuelle et reproductive.  

Un soir de novembre, à la Place de l’Amazone, à l’est de Cotonou, sous le doux soleil, nous avons rendez-vous avec une jeune activiste de santé sexuelle et reproductive. Déborah, la trentaine environ, est debout au pied de cette statue, son téléphone portable à la main. Elle profitait de quelques minutes d’attente pour s’informer sur le calendrier de son cycle menstruel. Sa source d’information, installée sur son téléphone, est une application mobile, dénommée “Elles”. “Je fais partie des premières personnes à qui Dr Viviane Oke a envoyé le prototype de cette application. Et depuis que je l’ai installée, ma vie a changé. ‘’Elles’’ m’a permis d’apprendre davantage sur mon propre corps”, raconte la jeune femme. “Avec cette application, j’ai accès à des informations sur mon cycle menstruel, les différentes méthodes de contraception, les infections sexuellement transmissibles (IST) et le VIH. Chaque mois, je reçois des notifications pour faire de l’auto-palpation afin de prévenir le cancer du sein“, poursuit la journaliste de métier. 

L’application “Elles” fait partie des nombreuses solutions numériques destinées à l’information des jeunes sur la sexualité. Une question peu maîtrisée selon diverses statistiques. Une enquête menée en 2015 sur les IST, le VIH et le SIDA au Bénin (ESDG2015) auprès des jeunes de 15 à 24 ans a révélé que l’âge moyen du premier rapport sexuel chez les jeunes est de 16,4 ans pour les scolaires/universitaires et de 17,3 ans pour les jeunes travailleurs. Selon les mêmes données, seul un jeune sur quatre (27%) a une bonne connaissance des Infections Sexuellement Transmissibles (IST), et 60,9% ont une bonne connaissance de l’infection à VIH. Un vide que ces plateformes numériques participent à combler. ‘’Elles sont devenues de précieuses alliées pour sensibiliser et éduquer les jeunes et les adolescents sur les enjeux de la santé sexuelle et reproductive. Cette application est également la bienvenue pour les femmes, surtout pour celles du milieu rural et qui sont plus ou moins instruites. Elles auront des informations sur la contraception, les méthodes de planification familiale et les moyens de prévenir les grossesses non désirées’’, témoigne Meggy d’Almeida, blogueuse spécialiste des questions rurales. 

Inspirée d’une histoire tragique

Initiée par Dr Viviane Oke, médecin et membre de la Communauté Women In Tech (WIT) mis en place par le projet DigiBoost de l’Agence de développement belge Enabel au Bénin, l’application “Elles” a été inspirée de l’histoire tragique d’une adolescente de 16 ans :

“Un soir de garde, les pleurs et les cris d’une mère ont mis l’hôpital dans lequel je travaillais en émoi. Sa fille de 16 ans saignait abondamment. Elle se vidait peu à peu de son sang. Très vite, l’équipe médicale a pris en charge la situation. Nous avons découvert que l’adolescente avait eu recours à un avortement clandestin parce que sa mère ne savait pas comment annoncer sa grossesse à son père. Pour sauver la fille, nous avons dû lui enlever son utérus. Malheureusement, elle ne pourra jamais connaître la joie de la maternité.”

Conseils sur la sexualité dans un style décontracté 

Les plateformes numériques apportent des réponses à des préoccupations variées de leurs utilisateurs. Maxime, élève dans un collège public de Tori-bossito, avoue avoir consulté le chatbot Billi avant d’avoir son premier rapport sexuel. L’adolescent dit être satisfait d’avoir la possibilité d’accéder à des informations sans craindre le jugement social ou la stigmatisation. ‘’Ensemble avec ma copine, nous avons pu contacter un centre spécialisé en planification familiale pour le choix d’une méthode de contraception’’, témoigne le collégien. C’est justement le pari de l’Association des blogueurs du Bénin (AB-Bénin) qui a conçu cette messagerie instantanée. 

Le chatbot Bill lancé par l’AB-Bénin en juin 2023 est présenté comme un outil pour les jeunes et les adolescents en quête d’informations sur leur santé sexuelle. Dans un style jeune et décontracté, il offre une multitude de services aux abonnés de la page Facebook de l’Association des Blogueurs du Bénin. 

“[En trois mois], plus de 2000 utilisateurs ont consulté notre messagerie, affirme Aichatou Salifou, Vice-présidente de l’Association des Blogueurs du Bénin. Le chatbot Billi permet aux utilisateurs de discuter avec des professionnels de la santé tels que des sages-femmes ou des gynécologues pour recevoir des conseils après un avortement, faire une échographie, un dépistage de maladies sexuellement transmissibles, détaille-t-elle. Si nécessaire, l’abonné est dirigé vers un centre de santé spécialisé dans son département grâce à un numéro vert.”

Sur les applications “Elles” et Billi, les données personnelles recueillies sont confidentielles, et les jeunes ont la possibilité de partager leurs expériences tout en gardant l’anonymat. L’avènement de ces plateformes numériques a révolutionné l’accès des jeunes et des adolescents à l’information en matière de sexualité. Cependant, ces différentes initiatives des jeunes pour les jeunes sont confrontées à de nombreux défis.

La viabilité, un défi majeur 

Le financement des applications mobiles est un challenge pour les entrepreneurs numériques engagés pour les Droits et à la Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR). En effet, le succès de ces applications est souvent le fruit d’un partenariat entre la société civile, les organisations de jeunesse et les acteurs spécialisés dans la santé sexuelle et de la reproduction. 

Dr Herman Azanmasso, spécialiste de médecine physique et de réadaptation, expert en neuro-sexologie et auteur du livre “Comment jouir d’une vie sexuelle riche et épanouie”, est un utilisateur des plateformes numériques d’éducation sexuelle. “Ces outils numériques nous aident dans la diffusion de bonnes pratiques en matière de santé sexuelle”, apprécie-t-il. Avant de nuancer : “mais ce que nous constatons, c’est que ces plateformes disparaissent à cause du financement. Sur ces projets, il ne faut pas attendre obligatoirement un gain. Il faut que vous soyez capables de patienter des années avant d’espérer éventuellement un financement et une capitalisation’’.

En effet, le chatbot Billi, développé par l’Association des Blogueurs du Bénin, est née de la campagne ‘’Nos droits, nos vies’’ de Billi Now Now, en partenariat avec Planned Parenthood Global (PP Global) et d’autres organisations de jeunes telles que “Illewa,” “Filles en Action,” et “JVS”. Toutefois, ses initiateurs jugent nécessaire de trouver des modèles économiques durables pour en assurer la pérennité. “Nous utilisons actuellement les ressources du mouvement Billi Now now pour entretenir la plateforme, notre préoccupation est de mettre à disposition des jeunes des informations fiables, nous travaillerons après pour établir un plan économique pour rentabiliser’’, a déclaré Aichatou Salifou, vice-présidente de l’Association des Blogueurs du Bénin. ‘’Le fait que nous sommes une équipe essentiellement composée de professionnels de santé, nous permet de donner des informations de qualité. Nous avons prévu un plan pour revoir les contenus revus et mettre l’application au goût du jour et attrayante pour nos utilisateurs. Nous avons un plan stratégique pour capitaliser nos acquis”, confie pour sa part Viviane Oke.

En investissant dans l’éducation sexuelle, les jeunes et les adolescents ont les connaissances et la confiance nécessaires pour prendre en main leur propre santé et leur avenir. L’accès à une information adéquate en matière de santé sexuelle et reproductive est d’ailleurs un droit fondamental. Au Bénin, le législateur a pris des mesures pour garantir ce droit. La  loi n°2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction, en son article 2 renseigne sur le caractère universel du droit à la santé de la reproduction : ‘’(…) Aucun individu ne peut être privé de ce droit dont il bénéficie sans aucune discrimination fondée sur l’âge, le sexe, la fortune, la religion, l’ethnie, la situation matrimoniale.” Il est également important de faciliter le dialogue intergénérationnel pour permettre aux jeunes d’avoir une éducation complète à la sexualité en fonction de leur âge et de leur niveau de compréhension.

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