22 Oct
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Par sa décision qui bouscule les règles établies en matière d’attribution du nom de famille, la Cour constitutionnelle du Bénin met sur un même pied d’égalité patronyme et matronyme au Bénin. Décryptage.

C’est une révolution. La Cour constitutionnelle, sans le dire expressément, met sur un même pied d’égalité patronyme et matronyme. Tout est parti d’une plainte d’une femme contre deux dispositions du Code des personnes et de la famille, une loi en vigueur depuis 2004. Dame Eucharistie Kotounou dénonce à la Cour une violation du principe d’égalité des sexes par les règles de la filiation de l’enfant mais aussi celles de l’usage du nom de l’époux par la femme mariée.

Quelles dispositions sont attaquées ?

La plainte d’Eucharistie Kotounou cible deux articles du Code des personnes et de la famille portant respectivement sur les règles d’attribution du nom de famille et le port du nom de mariage par la femme. Le premier, l’article 6 article fait du nom du père, le patronyme de l’enfant légitime mais aussi de l’enfant né hors mariage ou encore de l’enfant adopté par deux époux :

“L’enfant légitime porte le nom de famille de son père. L’enfant né hors mariage porte le nom de celui de ses parents à l’égard duquel sa filiation est établie. En cas de reconnaissance simultanée des deux parents, l’enfant porte le nom de son père. Si le père reconnaît l’enfant en dernière position, l’enfant prendra son nom. Mais s’il s’agit d’un enfant de plus de quinze (15) ans, son consentement sera requis. En cas de désaveu, l’enfant porte le nom de sa mère. L’adoption confère le nom de l’adoptant à l’adopté. En cas d’adoption par les deux époux, l’adopté prend le nom du mari.”

Quant à l’article 12 également attaqué par Eucharistie Kotounou, il dispose dispose que “la femme mariée garde son nom de jeune fille auquel elle ajoute celui de son mari. Il en va de même pour la veuve jusqu’à son remariage. La femme divorcée peut continuer à porter le nom de son mari avec le consentement de dernier ou sur autorisation du juge”.

Quelles sont les demandes de la requérante ?

Pour l’auteure du recours accepté par la Cour constitutionnelle, les deux dispositions violent le principe d’égalité des sexes consacré à l’article 26 de la Constitution du Bénin mais aussi par l’article 18 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, incorporée à la loi fondamentale du Bénin.

Au sujet de l’article 6 du Code des personnes et de la famille, elle demande alors que le législateur (l’Assemblée nationale) permette aux époux de composer ensemble le nom de famille de leur enfant par une association des leurs.

En ce qui concerne le second article, dame Eucharistie Kotounou estime qu’il viole la Constitution par le fait de la non réciprocité du nom de mariage entre les deux époux unis légalement…

 
Quelles sont les réponses de la Cour constitutionnelle ?
  • Pour toute question à elle soumise, la juridiction s’attarde d’abord sur sa recevabilité, c’est-à-dire, la régularité de celle-ci à plusieurs égards.

Dans le cas d’espèce, c’est principalement la voie de saisine qui est questionnable. Une loi en vigueur, après sa déclaration de conformité à la Constitution depuis 2004, est en cause. En principe, elle ne devrait plus faire l’objet de recours en raison de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de la Cour constitutionnelle. Mais il y a des exceptions, comme on en déjà connu avec l’actuelle mandature de la Cour sur nombre de questions, notamment la loi de retrait du droit de grève à des fonctionnaires validée après une décision contraire prise plus tôt… Ici, la Cour estime que le recours soulève la violation “d’un droit fondamental, le droit à l’égalité des sexes” et décide d’accepter la demande et de l’examiner.

  • Ensuite, la Cour a répondu au fond à la requête

En substance, au sujet de l’article 6 traitant des différentes hypothèses de la filiation, la Cour constitutionnelle déclare sa non conformité à la Constitution :

“Les règles qu’il posent (sic) ne confère pas un égal pouvoir à la femme placée dans les mêmes conditions et situations que l’homme et ne préservent (sic) pas le droit fondamental de l’enfant à l’égale reconnaissance de la filiation de ses parents (…) Aucun principe constitutionnel encore moins un impératif constitutionnel ne justifie l’admission d’une telle rupture d’égalité dans ces situations”.

Enfin, pour l’article 12 aussi, se référant au principe d’égalité des sexes dont se prévaut la plaignante, la Cour donne raison à cette dernière pour la même raison de non justification de la rupture de l’égalité des sexes.

 
La Cour a-t-elle indiqué des solutions ?

Si on peut tirer des conséquences de la décision de la Cour, on ne saurait non plus lui attribuer les différentes hypothèses de formation du nom de famille qu’avancent nombre de personnes depuis la sortie de cette décision inédite. En effet, la Cour s’est contentée de déclarer inconstitutionnelles les dispositions attaquées sans indiquer de voies à suivre pour les corriger. La Cour n’a donc pas donné d’instruction au législateur de donner suite aux doléances de la plaignante notamment en ce qui concerne les règles d’attribution du nom de famille.

A quoi peut-on s’attendre ?

Une principale leçon à tirer, c’est que les articles rendus inapplicables par la Cour doivent être revus par le parlement. La coïncidence de calendrier de cette décision avec le train de mesures tant législatives qu’institutionnelles sensibles au genre pourrait d’ailleurs accélérer les choses. Un projet de loi modifiant le Code des personnes et de la famille est en effet programmé à l’Assemblée nationale ; il n’est pas exclu que les députés fassent d’une pierre deux coups.

Lire aussi >> Bénin : l’obligation de reconnaissance de grossesse fait grand bruit 

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[Bon à savoir]

La décision décryptée de la Cour rappelle une autre dans laquelle des dispositions inégalitaires étaient aussi passées à la trappe. C’était en 2009 et l’affaire portait sur des dispositions litigieuses de l’ancien code pénal, relatives au délit d’adultère de la femme. Les faits se présentent comme suit :

Une femme nommée Nelly Houssou était poursuivie devant le tribunal de Cotonou pour délit d’adultère, une procédure enclenchée par son mari, un magistrat, pour contrer une demande de divorce de la femme déposée au tribunal de Porto-Novo. Au cours du procès, les avocats de la mise en cause constatent et dénoncent le caractère discriminatoire des dispositions du Code pénal sanctionnant l’infraction reprochée à dame Nelly Houssou.

En substance, les articles 336 à 339 de ce code pénal, une loi datant de l’époque coloniale, régissaient différemment la répression du délit d’adultère selon le sexe de son auteur. Alors que la femme en faute risque la prison, l’homme dans la même situation ne paie qu’une amende et son adultère n’est établie que s’il est commis au domicile conjugal… Demandant la suspension du procès par ce qu’on appelle une exception d’inconstitutionnalité, dame Houssou et ses conseils vont avoir gain de cause auprès de la Cour constitutionnelle, alors présidée par Robert Dossou. Dans sa décision DCC 09-081 du 30 juillet 2009, elle constate :

“Le législateur a instauré une disparité de traitement entre l’homme et la femme en ce qui concerne les éléments constitutifs du délit ; que dans le cas d’espèce, alors que l’adultère du mari ne peut être sanctionné que lorsqu’il est commis au domicile congugal, celui de la femme est sanctionné quel que soit le lieu de la commission de l’acte ; que l’incrimination ou la non incrimination de l’adultère ne sont pas contraires à la Constitution, mais que toute différence de traiement de l’adultère entre l’homme et la femme est contraire aux articles 26 de la Constitution, 2 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; qu’en conséquence, les articles 336 à 339 du Code pénal sont contraires à la Constitution”.

Cette décision, très commentée par les constitutionnalistes à l’époque continue d’être citée comme une référence en matière de protection juridictionnelle du principe d’égalité. Dans une thèse de doctorat en Droit soutenu en 2016, sur “Le principe d’égalité en droit béninois de la famille”, Simone Honvou a largement évoqué cette décision en même temps qu’elle ressortait d’autres dispositions inégalitaires de l’ancien code pénal tel par exemple l’ahurrissant droit de vie et de mort consacré à son article 334 : “dans le cas d’adultère, prévu par l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable”. C’est dire à quel point on vient de loin, en matière des droits des femmes !

 

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