12 Oct
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A Cotonou, Roland Tiko, machiniste de 38 ans, redonne vie aux machines à coudre. Installé à son compte depuis une quinzaine d’années, sa réputation va bien au-delà des maisons de couture de Cotonou.

A quelques encablures du carrefour Caboma, au quartier Saint Michel, dans le 7e arrondissement de Cotonou, nul besoin de plaque indicative pour retrouver l’atelier de Roland. La ruelle en terre qui y conduit voit défiler chaque jour des motocyclistes transportant une ou plusieurs machines à coudre. Pour aller chez le machiniste, il suffit de prêter attention aux allers-retours dans cette zone de Cotonou.

Une fois sur place, ce n’est pas une enseigne qui vous confirme que vous êtes au bon endroit. L’exposition en plein air des têtes de machines à coudre entre lesquelles se faufilent des jeunes gens en blouses bleues noircies vous souhaite la bienvenue.

“Cette machine a plus de 20 ans. Elle a un problème de boîte. Je vais la remettre en vie

Sauf cas exceptionnel, il est probable que vous retrouviez le maître des lieux, vêtu aussi du même uniforme, téléphone collé à l’oreille. Parlant en fon ou en français au client, il indique son atelier, confirme un rendez-vous ou détaille les offres de matériel disponible. Le tout, en ayant la tête plongée dans une machine à coudre ou à broder, renversée sur sa table.  

Cet après-midi d’octobre 2022, c’est un vieil exemplaire de la marque Singer qui l’occupe. “Cette machine a plus de 20 ans. Elle a un problème de boîte. Je vais la remettre en vie”, assure Roland. A sa droite, deux jeunes hommes, l’air épuisé. Ils attendent, assis sur un banc devant l’une des deux entrées du bâtiment abritant son atelier rempli de vieux matériels. Ils sont venus de Djakotomey, dans le Couffo, à plus de 150 kilomètres de Cotonou.

« CNHU » des machines à coudre 

Comme ces deux artisans, ils sont nombreux à se croiser ici. “Au moins une trentaine, parfois jusqu’à 50”, précise Roland. L’homme de taille moyenne, est aussi agile dans l’expression que dans ses mouvements incessants entre les différents recoins de son lieu de travail qui ne désemplit pas. “Ici, il faut être patient, je suis habitué, donc j’attends mon tour”, murmure un client venu d’Abomey-Calavi.

L’histoire de Roland avec les machines remonte à un échec scolaire. Vers la fin des années 1990, il échoue à obtenir le certificat d’études primaires. Il jette alors son dévolu sur le métier de réparateur de machine à coudre en voyant un professionnel officier sur les appareils de son frère couturier. Commence alors l’apprentissage sous les ordres de ce “patron” et “grand frère” à la fois. L’initiation durera plus de 5 ans.

En 2008, Roland finit par ouvrir son propre centre de réparation. Au fil des ans, grâce au bouche à oreille de ses clients, il est devenu incontournable “Quand je répare les machines, leurs propriétaires sont satisfaits et font venir d’autres personnes. Elles viennent de tout le Bénin“, déclare-t-il avant de se comparer à un hôpital de référence qui reçoit les cas de maladie grave : c’est comme le grand hôpital, le CNHU (Centre national hospitalier universitaire) où on soigne les malades. Je suis docteur des machines”.

Business de la récupération

Singer, Naumann, Pfaff,… toutes sortes de machines à coudre vintage se côtoient dans l’entrepôt de Roland. Aucune marque n’a de secret pour lui. Il les rachète à des importateurs de biens usagés d’Europe avant de les réparer, les relooker et les revendre. “Les anciennes machines à coudre viennent d’Allemagne, d’Italie… Elles sont plus efficaces que les machines neuves chinoises à cause de leur matière”, explique-t-il. Sur cette base, Roland peut céder jusqu’à 160.000 FCFA une ancienne machine à coudre des années 1950 ou 1960 qu’il a remise en marche.

Pièces de musées recherchées ailleurs, les anciens équipements de couture sont en effet réputés plus résistants, selon des avis de sites spécialisés. Il est dit qu’une ancienne machine à coudre est aussi efficace qu’une neuve pour une raison toute simple : la technologie demeure presqu’inchangée. Et cela, Roland et des professionnels de la couture l’ont compris en se fiant aux vieilles, machines souvent logées, dans leurs meubles ramenées du Vieux continent.

Avec une vingtaine d’apprentis sous ses ordres et parmi lesquels, un jeune titulaire du bac, “docteur” Roland peut être certain de semer la graine et garantir l’avenir du business de la récupération des machines à coudre. Et ce, pour le grand bonheur des nombreux artisans tailleurs ou stylistes qui ne demandent qu’à avoir un machiniste efficace prêt à les dépanner. Les deux clients “référés” du Couffo ne diront pas le contraire. Soulagés, ils sont repartis avec leur brodeuse mécanique à laquelle le réparateur a redonné vie, défiant l’obsolescence programmée.

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