10 Nov
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Ça y est, c’est le jour-j. Les 26 trésors royaux pillés par la France durant la colonisation rentrent au Bénin aujourd’hui. Aboutissement d’une longue bataille qui a commencé cinq ans plus tôt, ce retour au pays natal est fort de symbolisme. Il est aussi chargé d’informations à perdre le citoyen lambda. Voici dix choses précises et importantes à savoir sur ces trésors royaux qui rentrent au pays.

1. Tout a commencé en 2016

La restitution des 26 trésors royaux d’Abomey ne serait pas une réalité aujourd’hui si, en 2016, le Bénin n’avait pas initié une demande officielle de restitution des œuvres en question. En effet, sur instructions du président de la République, le ministre béninois des affaires étrangères et de la coopération a saisi son homologue français d’une demande officielle de restitution des biens culturels du Bénin présents dans plusieurs collections françaises, notamment ceux emportés lors de la conquête d’Abomey en 1892.

C’est la première fois qu’une autorité béninoise se lance officiellement sur ce terrain. Le fait est tout aussi rare sur le continent même si certains ont été pionniers en la matière. En 1973, le maréchal Mobutu Sese Seko avait prononcé un discours, à la tribune des Nations-Unies. Il y demande la restitution des œuvres d’art pillées au temps du Congo belge de Léopold II.

2. Du refus à l’acceptation

Lorsque  le Bénin a fait sa demande de restitution officielle, la France n’a pas répondu favorablement tout de suite. En 2016, les autorités françaises ont d’abord rejeté la demande béninoise. Jean-Marc Ayrault, ministre français des affaires étrangères, à l’époque, avait alors évoqué le principe d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du patrimoine national pour justifier la fin du non recevoir opposée à la demande béninoise.

Quelques mois plus tard, changement de position au sommet de l’Etat français. En 2017, François Hollande n’est plus président de la République. Son successeur Emmanuel Macron entend développer une nouvelle relation avec l’Afrique et, pour cela, veut multiplier les gestes forts en direction du continent. En déplacement à Ouagadou, le 28 novembre 2017, le président de la République française annonce dans un discours à l’université Ki-Zerbo, son intention de restituer, “sans tarder”, les 26 œuvres réclamées par le Bénin. L’annonce est inédite et lance les démarches de ce qui est aujourd’hui la première importante restitution d’objets de collections publiques à un pays africain.

3. Un rapport qui pose les bases intellectuelles et réglementaires de la restitution

Faisant suite à son discours de Ouagadougou, le président français a missionné, en mars 2018, deux intellectuels pour réfléchir sur les conditions dans lesquelles les objets du patrimoine africain pillés durant la colonisation pourraient être restitués à leur pays. Les deux universitaires désignés devraient aussi circonscrire, dans le temps et l’espace, le périmètre des objets qui devraient être concernés. L’annonce de cette mission a d’ailleurs été faite lors d’une visite de travail du président Patrice Talon en France. 

En novembre 2018, le “Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle” est remis officiellement au président français. Dans l’opinion publique, elle fait beaucoup jaser. Considéré comme un pavé dans la marre, le document de 232 pages est à la fois pointu et radical. Il propose une “restitution rapide” en trois étapes de tous les objets prélevés en Afrique par la force ou « présumés acquis dans des conditions inéquitables » pendant la période coloniale (1885-1960).

4. Une loi d’exception pour le Bénin et le Sénégal

Après la remise du rapport Sarr-Savoy, une autre étape vers l’aboutissement de ce jour a été le cadre  législatif qui rend possible le retour des 26 pièces royales  au Bénin. Ainsi,  fin 2020, une loi spéciale est votée pour mettre fin, à titre exceptionnel, au principe d’inaliénabilité, évoqué par le gouvernement français en 2016. Cette loi dérogatoire s’applique également à un sabre, avec son fourreau, dit “d’El Hadj Omar Tall”, donné par le Général Louis Archinard, à la suite de campagnes militaires en Afrique, au musée de l’armée qui doit être transféré à la République du Sénégal.

5. Plus d’un siècle d’absence

Mais comment les 26 œuvres restituées se sont retrouvées en France et dans quelles conditions ? Il faut remonter à 1892. Cette année-là, la guerre fait rage entre l’armée française à la conquête d’Abomey et les troupes du roi Béhanzin qui faisaient la résistance, ne voulant pas se soumettre au colon. Alors que l’expédition française conduite par le général Alfred-Amédée Dodds réussit à s’emparer des palais royaux le 17 novembre de cette année-là, le général et ses troupes ont pillé plusieurs objets parmi lesquels ceux qui sont finalement restitués ce 9 novembre 2021. Il aura donc fallu un exil de plus de 109 ans pour que ces œuvres reviennent sur leur terre d’origine.

6. De quoi s’agit-il concrètement ?

On parle de 26 trésors royaux. En fait, il s’agit de 26 œuvres diverses et variées. On recense ainsi trois statues royales anthropozoomorphes (bocchio), six autels portatifs (asen), les trônes des souverains Ghézo et Glélé, un siège royal, un tabouret royal de Béhanzin (kataklè), une calebasse sculptée à couvercle, trois récades, un fuseau et un métier à tisser, quatre portes de palais du roi Glélé, une tunique et un pantalon de soldat, et un sac en cuir.

Vous pouvez voir l’intégralité des 26 œuvres sur le site web dédié créé par la Présidence de la République ici.

7. Originales ou copies ?

Depuis la confirmation de la restitution des œuvres, plusieurs personnes s’interrogent. Est -ce  effectivement les œuvres originales qui sont envoyées au Bénin? A ce type d’inquiétudes, le ministre de la Culture et du tourisme a apporté des assurances claires et nettes le 21 octobre 2021 lors d’une intervention spéciale sur les réseaux sociaux de la présidence du Bénin. “Nous avons ici au Bénin, beaucoup d’experts et beaucoup d’outils pour pouvoir savoir si ce sont des œuvres authentiques ou ce sont des copies”, a précisé Jean Michel Abimbola. Mettant en avant la sincérité de la partie française, il a aussi ajouté que “l’esprit dans lequel nous coopérons avec la France ne permet pas de pouvoir aller sur ces pistes-là”.

Sur la même préoccupation, le musée du Quai-Branly où les œuvres étaient habituellement exposées a répondu à nos confrères du journal français Libération. Le musée a expliqué que “les 26 objets qui vont être restitués au Bénin ont tous bénéficié d’un constat d’état détaillé et d’une campagne de photographie HD”. A signaler que neuf objets, faisant autrefois partie des collections permanentes du musées ont bénéficié d’une imagerie par photogrammétrie, qui permet la création de modèles 3D des objets. 

Le Quai-Branly insiste sur le fait que “le but n’est pas de recréer des copies des œuvres mais de disposer de doubles numériques pour l’étude et la recherche”. Et que “toute la documentation résultante des analyses est partagée avec [les] partenaires béninois”.

8. 26 œuvres et c’est tout ?

Le Bénin célèbre aujourd’hui le retour de 26 objets culturels pillés sous la colonisation. Cependant, de toute évidence, ils ne sont pas les seuls objets emportés par les colons. En 2018, le rapport commandité sur le sujet par le président Macron aux universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy a conclu que plus des dizaines de milliers d’objets auraient été pillés par les colons et sont actuellement détenus en Europe. En France, au moins 90.000 objets d’art d’Afrique subsaharienne font partie des collections publiques françaises, dont 70.000 au musée du Quai Branly. Selon l’ambassadeur de la délégation du Bénin pour l’UNESCO, Irénée Zevounou, le nombre des œuvres des royaumes du territoire du Bénin actuel se chiffre entre 4.500 et 6.000 objets en France, y compris dans les collections privées.

D’ailleurs, lors de son allocution ce mardi à l’Elysée, après la signature de l’acte qui consacre le transfert de propriété des œuvres dans le patrimoine du Bénin, le président Patrice Talon a évoqué de nouvelles œuvres qu’il souhaitait récupérer. “Il est regrettable que cet acte ne soit pas de portée à nous donner entièrement satisfaction. Comment voulez-vous qu’à mon départ d’ici, avec les 26 œuvres, mon enthousiasme soit total, pendant que le dieu Gou, œuvre emblématique, dieu des métaux et des forges, que la tablette du Fa, œuvre mythique, et encore beaucoup d’autres, continuent d’être détenues ici, en France, au grand dam de leur ayant droit ?”, a déclaré le président de la République. 

9. Coopération 

Dans le cadre de la restitution des œuvres, la France et le Bénin ont acté un ambitieux partenariat dans le domaine du patrimoine culturel. Cela passe par le soutien à la mise en valeur du site historique d’Abomey grâce à la réhabilitation de quatre palais royaux et à la construction d’un nouveau musée aux standards internationaux où seront exposées les œuvres héritées du royaume du Danhomè. Ce programme de travail commun implique également un appui technique à travers la formation des ressources humaines de qualité.

10. Itinéraire du retour

Le mardi 9 novembre 2021 à l’Elysée, le président Patrice Talon et son homologue Emmanuel Macron ont signé l’acte de transfert de propriété des 26 œuvres restituées. Ce mercredi 10 novembre 2021, les œuvres transportées par avion arrivent à Cotonou, d’après l’agenda officiel, autour de 15 heures. Après leur déchargement, elles seront accueillies à la présidence en présence des têtes couronnées, des membres du gouvernement et d’autres officiels. Les oeuvres prendront après le chemin de la maison du gouverneur de Ouidah, au côté du Musée international de la mémoire et de l’esclavage, en construction.

Toutes ces étapes seront à suivre en direct sur les antennes de la télévision nationale et sur notre site web

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