10 Mai
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Certaines compétences de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, notamment celle de pouvoir juger les violations des droits de l’Homme dans les Etats, ne sont plus valables au Bénin. Et des décisions qui été prises en vertu de ces compétences sont déclarées nulles et non avenues. C’est la substance d’une décision de la Cour constitutionnelle du Bénin intervenue le 30 avril 2020.

Une préoccupation centrale traverse cette décision de la Cour présidée par Joseph Djogbénou (photo) qui constate un vide juridique qui date de 15 ans : la modification d’un accord international peut-elle produire des effets sans avoir été régulièrement ratifiée ? Pour la Cour constitutionnelle, la réponse est « non » en ce qui concerne le Bénin.

La Cour, allant dans le sens de l’argumentation du requérant qui l’a saisie de l’affaire avec comme objet l’annulation de nombre de décisions de la Cour de justice communautaire, déclare en effet que :

“Le protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 n’est pas opposable au Bénin pour n’avoir pas été ratifié en vertu d’une loi votée par l’Assemblée nationale, promulguée et publiée au Journal officiel.”
Résumé des faits

Le 6 juillet 1991, à Abuja, les Etats membres de la CEDEAO ont créé la Cour de Justice de la communauté (CJC). Le Protocole (A/P1/7/91) instituant la juridiction communautaire est entré en vigueur dans l’ordre juridique interne du Bénin suite à son acceptation par ratification par le chef de l’Etat en vertu d’une loi d’autorisation votée par l’Assemblée nationale (loi 97-021 du 20 juin 1997). C’est la procédure fixée par l’article 145 de la Constitution du 11 décembre 1990 pour faire entrer les accords internationaux dans le droit béninois. Jusque-là, tout est normal selon la Cour.

Mais cette procédure fera défaut (et ce jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle) pour rendre applicables au Bénin, des amendements portés des années plus tard au protocole créant la CJC. Ces amendements sont intervenus le 19 janvier 2005 et portés par le Protocole A/SP.1/01/05. Ils ont notamment institué les recours individuels des citoyens contre les Etats devant la CJC pour tout cas de violation des droits de l’Homme.

Pour la Cour constitutionnelle du Bénin, “l’amendement normatif ainsi intervenu, substantiel et modificatif des lois internes de l’Etat en ce qu’il étend le champ d’abdication par l’Etat de sa souveraineté ne peut être ratifié et, par suite engager l’Etat béninois que sur autorisation de l’Assemblée nationale, promulguée et publiée au journal officiel dans les mêmes termes et suivant les formes que le Protocole amendé”.

Péché par action et par omission

Dans l’instruction de l’affaire, la Cour s’est renseignée auprès de l’Assemblée nationale et du ministère de la Justice et de la Législation. Il lui est revenu que le protocole en cause n’a pas fait l’objet d’une autorisation de ratification comme l’exige la Constitution. Le juge ne manque pas alors au passage de sanctionner le péché des gouvernements qui ont agi malgré une omission qui vicie toutes leurs actions :

“Les gouvernements successifs qui ont donné suite aux différentes procédures engagées sur le fondement du protocole additionnel de la CEDEAO A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 en l’absence d’une loi de ratification, promulguée et publiée au journal officiel, ont violé l’article 35 de la Constitution.” 

Actes non avenus

Mais la Cour ne s’arrête pas là. Elle déclare la nullité avec effet rétroactif de toutes les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO prises à l’égard du Bénin en vertu de ses attributions fixées par le protocole modificatif non ratifié par le Bénin :

“Tous les actes qui résultent de la mise en œuvre du protocole additionnel de la CEDEAO A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 sont non avenus à l’égard du Bénin.”

Avec cette décision, on imagine improbables de nouveaux recours de citoyens béninois devant la CJC contre l’Etat béninois. Comme la décision de désengagement vis-à-vis de la Cour africaine des droits de l’Homme prise par le gouvernement, celle de la Cour visant la CJC a pour conséquence directe la restriction des droits des citoyens à accéder à cette juridiction communautaire.

La coïncidence de calendrier des deux décisions peut d’ailleurs nourrir des supputations. D’autant que la dernière, celle de la Cour constitutionnelle, est restée muette sur une question qu’on pourrait poser : les organes compétents peuvent-ils (ou doivent-ils) maintenant corriger le vice sanctionné, en engageant une procédure de ratification du protocole additionnel en cause ?

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